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mercredi 11 décembre 2013

L’Afrique éperdue. « Exil », de Jakob Ejersbo

Le Monde des Livres
05.12.2013
Nils C. Ahl

Après une petite cinquantaine de pages, il n'est pas impossible que le lecteur se demande franchement où va ce livre. L'énumération des péripéties que traverse l'ardente Samantha, 15 ans, fille d'expatriés britanniques en Tanzanie au milieu des années 1980, est froide comme il fait chaud, répétitive et lancinante. A coups de chapitres courts, ces cinquante premières pages ne se résumeraient-elles qu'à une suite atone de scènes banales et sordides ? Des cigarettes, de l'alcool et du sexe, pour tuer le temps dans un pensionnat de gosses de riches ? et rien d'autre ? Non, évidemment. Le lecteur est comme contaminé, d'ailleurs : une Samantha bat la campagne et la chamade en lui, provocante et imbécile ? vivante. Quand l'un de ses camarades de classe torture un pauvre chat, il croit reconnaître les gémissements de l'adolescente dans les miaulements de l'animal. Soulevée par l'existence, catapultée le plus loin possible, la jeune fille effectue un vol plané au long cours.
Quatre cents pages d'une sublime chute. De ce roman d'initiation et de perdition, superbement rendu par la traduction d'Hélène Hervieu, Samantha ne retire rien : ni l'amour, ni une identité, ni même la certitude de rester en Afrique comme elle le souhaite.

Jakob Ejersbo. /Morten Langkilde
En 2009, la parution danoise d'Exil, premier tome de la trilogie africaine de Jakob Ejersbo, a été l'un des phénomènes littéraires de la décennie. L'auteur, très remarqué pour son précédent roman, Nordkraft (« Force du Nord », 2002, non traduit), venait de mourir à 40 ans. Beaucoup parlèrent de chef-d'?uvre, Ejersbo devint un écrivain culte. Et force est de reconnaître que, si Nordkraft avait pu nous laisser sur notre faim, cette trilogie-là est une évidence d'équilibre poétique et d'énergie romanesque. Deux romans enchâssent un cycle de nouvelles ? tous trois tournant autour d'une Tanzanie et d'une école qui furent celles de Jakob Ejersbo adolescent. En l'espèce, le lecteur français est chanceux : il ne sait rien d'Ejersbo, de sa disparition ni de ses années africaines. Doublement chanceux même, car, s'il connaît bien Karen Blixen, il ignore à quel point Ejersbo s'inscrit dans une géographie africaine partagée avec d'autres écrivains danois. Le regard est vierge de tout préjugé littéraire, faussement naïf, comme celui de Samantha, il embrasse spontanément son morbide ennui. 

UNE IDENTITÉ IMPOSSIBLE 
Au fur et à mesure, l'Afrique s'impose bel et bien, cependant, en creux, empreinte d'une forme poisseuse de néocolonialisme. Jakob Ejersbo évite soigneusement d'en faire un enjeu trop flagrant de son livre, il la distille au compte-gouttes, en bout de phrase, au milieu d'un paragraphe, par touches presque invisibles. Il pince une corde sensible, il enchaîne. Le petit groupe de gamins privilégiés du pensionnat (majoritairement blancs, mais pas que) ne vit pas à l'écart du monde, de l'histoire ou de leurs différences. Mais l'adolescence n'est pas savante. Elle est cinglante, injuste même quand elle sonne juste. Comme lorsque Samantha résume l'une de ses disputes avec d'autres élèves, indiennes : « Elles portent des saris, de longs voiles, des sandales à hauts talons, des ongles vernis, des bracelets en or. Leur culture et leur habillement doivent être respectés. Ma culture à moi, c'est de montrer ma peau et de fumer des cigarettes ? et je n'en ai pas le droit. » 

En vérité, la jeune fille voit tout au prisme d'une identité impossible : britannique de naissance, tanzanienne depuis. L'Afrique australe change en ce milieu des années 1980, les affaires de son marchand d'armes de père périclitent. Elle ne veut surtout pas rentrer en Europe. Renvoyée à sa couleur de peau, elle rétorque : « Blanche à l'extérieur. A l'intérieur, je suis toute? grise. » Cette contradiction la ronge et la dévore. 

A cette Tanzanie transitoire, illusoire, qui ne lui appartient pas, Samantha réagit comme elle peut. Violemment. Ses coups pleuvent sans prévenir, quand on s'y attend le moins, comme ceux de son père, dont « l'éducation s'inspire de la tactique de la guérilla ». Sa réponse est avant tout sexuelle, son corps de jeune femme croit prendre le pouvoir : une illusion, encore. Sur un mode dévergondé et agité, son salut n'est que provisoire. Elle se perd dans son désir et celui des autres. Elle devient la « pute » de l'école, on la trahit, on lui ment, on la viole. Les femmes et les hommes sont à bout de souffle, guidés par l'envie, la chair et l'argent ? même Alison, sa grande s?ur, amoureuse du « gentil » Frans. Ce dernier n'est le mari idéal que parce qu'il est un moyen de quitter le foyer familial et de rester en Afrique. 

Le lecteur finit par se rendre compte qu'il voit le monde avec les yeux de Samantha. Dans un voile d'alcool, de drogue et de compulsions, dans cette Afrique-là, éperdue et désespérée. Le personnage si mince des premières pages l'a emporté. Car Jakob Ejersbo lui a donné des armes, les meilleures du roman, et quelques autres, secrètes et poétiques. On ne peut donc que suivre Samantha dans sa danse nuptiale ? triste et lumineuse à se noyer.

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